QUIDAM, c'est le passant inconnu, le flâneur solitaire,
l'individu pressé, le personnage quelconque... quiconque. C'est celui qui
habite nos sociétés trop anonymes.
Tout
d'abord il y a ces trois filles dans le fond. Elles sortent entre amies. La blonde
à gauche s'est faite quitter par son petit ami hier. C'est l'occasion pour elle
de se changer les idées. Elle ne le sait pas encore mais son chemin recroisera celui
du garçon qu'elle aime dans quelques années et ils reprendront là où ils s'en
sont arrêtés et ils vivront plus heureux que jamais. Parce que oui, la vie
parfois nous offre un peu de bonheur.
"Je vous souhaite d'être follement aimé"
En face
d'elle, son amie devrait profiter de la soirée car sont futur n'est pas aussi
réjouissant. En effet, la pauvre ne passera pas la journée de demain à dormir
pour se reposer de sa nuit festive. Elle la passera dans les transports à
pleurer pour se rendre en famille à des centaines de kilomètre de cette rame de
métro pour assister à l'enterrement de son père. Car elle ne le sait pas
encore, mais à ces mêmes centaines de kilomètres à cette même heure où elle se
trouve dans le métro, son père est en train de rentrer d'une journée fatigante
de travail. Il ne fermera les yeux qu'une fraction de seconde, mais cela sera
assez pour rater un virage et s'encastrer contre un arbre. Parce que oui, parfois la vie est dure.
Passons
au jeune homme debout sur la droite au
premier plan. Il a l'air un peu rebelle comme ça à première vu avec son blouson
de motard en cuir et ses mitaines effilées. Pourtant un jour, il révolutionnera
le monde. Il n'est actuellement qu'un simple étudiant assidu en politique et en
économie dans l'une des plus prestigieuses écoles mondiales à Paris. Mais dans
quelques années il occupera un poste déterminant au niveau Européen et apportera
une chose que personne n'osait imaginer. Je ne vais pas vous gâcher la
surprise, je vais juste vous dire d'oser rêver en attend que ce jeune homme
grandisse. J'ai dit qu'il était parisien, c'est vrai. Il n'est ici, dans le
métro toulousain, que pour rendre visite à son amante. Il a prétendu un
rendez-vous avec un économiste de renom pour justifier son absence auprès de sa
fiancée mais tout ce qu'il veut en vérité c'est s'envoyer en l'air. Parce que oui,
on peut révolutionner la face de l'humanité et être coupable d'infidélité. Parce
que oui, les apparences sont parfois trompeuses. Et la vie est souvent
surprenante.
"J'aurais aimé écorcher d'une voix rêche
la surface
trop lisse de nos bonnes intention."
La jeune fille que l'on voit de face sur la
gauche. Elle fait parti de ces gens pour qui la vie est simple. Tout se
goupille toujours bien pour elle. Elle a des parents qui l'aiment et
subviennent amplement à ses besoins. Elle a un bon cercle d'amis et elle
rencontrera dans quelques jours un garçon qui tombera immédiatement sous son
charme. Elle est brillante et studieuse mais ne s'interdit aucune occasion de
s'amuser avec ses amis. Elle jolie, débrouillarde et possède des capacités hors
du commun dans des domaines qu'elle n'explore pas. Si elle avait conscience de
ce qu'elle est capable de réaliser... Mais elle ne le sait pas. Et même avec un
CV pareil, elle ne sera qu'un individu lambda de notre société et mènera une
vie des plus banales qui soient. Elle se mariera avec un homme tout aussi banal
qu'elle, aura trois enfants. Sa vie se résumera à métro-boulot-dodo. Cette vie
monotone (si on peut qualifier une telle platitude de vie) a d'ailleurs déjà
commencé, elle est déjà dans le métro. Parce que oui, la vie est bien trop
souvent fade.
Il y a
cet homme derrière elle, en chariot. Il y a trois ans de cela, il se trouvait
dans cette même rame de métro, mais debout à cette époque là. Il se rendait à
une conférence qu'il tenait pour former des étudiants dans la branche qui le
passionnait car pour lui, la transmission de connaissances et de valeurs est
quelque chose d'unique et de précieux. Nous
sommes donc trois ans en arrière et ce jeune homme fraichement marié et futur
papa presse le pas, trop impatient de partager son savoir encore une fois. Je
l'aurais aujourd'hui en tant qu'enseignant si le conducteur de la voiture qui
l'a percuté n'avait pas grillé le stop. Mais les choses se sont moins bien
passées que prévu. Il a laissé bien plus que ses jambes en sortant de ce métro
il y a de cela trois ans. Hormis les os de ses membres inférieurs, c'est son
couple qui a éclaté. Et puis les regards de pitié des étudiants le blessait et
il n'a pas tenu plus de deux mois dans l'enseignement après sa rééducation. Il vit aujourd'hui seul avec son savoir qu'il
noie régulièrement dans quelques verres de vodka bas de gamme. Parce que oui,
la vie est parfois une salope injuste.
"J'aurais voulu ne pas grandir.
J'aurais voulu ne
jamais mourir."
Ensuite
il y a cette jeune fille à gauche dont on ne voit que des jambes (qui
fonctionnent, elles...). Des jambes qui fonctionnent très bien même. La mère de
cette jeune fille fait parti de ceux pour qui la vie a joué la carte de la
salope injuste. Tout au long de sa vie, sa mère n'a du faire face qu'à des
obstacles. Un père alcoolique, un ex mari ayant suivi la voix de beau-papa peu
de temps après leur union, un emploie qui ne la passionne pas mais qui à
l'avantage d'apporter de quoi survivre à sa fille et à elle même. Elle n'attend
plus rien de la vie. Elle n'a aucun rêve, aucun projet. Aucun espoir. Mais elle
a sa fille. Sa fille assise dans le métro qui rentre à la maison retrouver sa
mère. Et sa fille, elle rêve pour deux. Pour vingt peut - être même. C'est une
danseuse d'exception qui rêve un jour de fouler une scène en sentant quelle a
le pouvoir de couper le souffle à toute une assemblé en un simple mouvement de
bras. Les rêves qu'elle alimente rendent fière sa mère qui se dit d'ailleurs satisfaite
d'avoir au moins réussi ça dans sa vie. Pour ses rêves et le sourire de sa
mère, cette jeune fille mystérieuse ne compte par les heures passées à
s'entrainer, les douleurs qui tordent son corps. Elle connait le prix à payer.
Cette histoire pourrait bien se terminer. Mais elle pourrait aussi voler en
éclat aussi rapidement que les jambes du monsieur en face d'elle. Parce que
oui, la vie ne tient à rien.
"J'aurais voulu me casser l'âme."
Revenons
enfin à nos troisième demoiselle dans le fond de se métro plein d'histoires
étranges. Elle, son avenir reste flou et incertain. Je vous laisse prendre
quelques minutes pour lui en imaginer un. Je vous dis juste qu'elle mourra insatisfaite.
Parce que non, la vie ne tient pas ses promesses.
Ce qui
est fou, c'est de se dire que les chemins de ces huit personnes se sont entrecroisés
et ont fait quelques kilomètres ensemble ce soir là dans cette rame de métro
toulousain, perdue dans l'immensité de nos vies trop banales.
J'ai
bien dit huit, par ce que oui, il y a aussi cet ancien petit garçon, derrière sont appareil photo qui
ne sait pas ce que lui réserve l'avenir. Ce petit garçon qui a grandit et murit
et dont le doute grandit tout autant que l'envie et l'espoir. Un petit garçon
maintenant grand dont l'esprit hurle comme une bête enfermée, comme une fuite
d'eau finit par faire exploser le conduit pour pouvoir s'échapper de ce tube
toujours trop droit et unidirectionnel. Ce grand garçon dont l'esprit bout. Ce
grand rêveur qui voudrait se laisser exploser mais que l'on force à rester
dans le conduit rectiligne de la vie alors que sa seule envie est de crier
comme un fou.
"Come un pazzo gridar."